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Capitolo 3

 

« Bénissez nous, Seigneur, et bénissez cette nourriture que nous allons prendre. Et faites-nous la grâce de n'en user que pour votre Gloire et le Salut de notre âme. Amen » récita le chef de famille.
 
« Amen » reprit en chœur toute la tablée alors que les couverts se mettaient à tinter dans les assiettes.
 
      C’était dimanche, et comme tous les dimanches la famille Genovese réunissait tous ses membres pour le déjeuner. Ce n’était jamais une mince affaire et pour une bonne majorité des personnes présentes, l’exercice était rébarbatif, mais c’était la famille. On respectait la famille et surtout le patriarche. Alors on venait, on souriait, on mangeait, on buvait. Ensuite les hommes se retiraient pour discuter affaires pendant que les femmes parlaient chiffons et que les enfants jouaient ensemble. C’était un rituel, une mécanique bien huilée qui régissait une des familles les plus puissantes et influentes de Milan, voire de toute l’Italie du nord.
  
         Riche, cette famille l’était, sans aucun doute. Les Genovese possédaient une maison immense en centre-ville où plusieurs générations avaient déjà vu le jour, mais pas seulement. La famille détenait un capital immobilier conséquent dans toute la région Lombarde, et même un peu partout en Italie. Les comptes en banque étaient pleins et les banquiers aux petits soins. Cette réussite spectaculaire était facilement explicable : une bonne gestion du patrimoine, des placements judicieux, des affaires florissantes. Un peu de tout cela, mais surtout beaucoup de négociations, de chantages et de meurtres. Car la famille Genovese n’était pas qu’un empire financier ; la famille Genovese était la mafia la plus influente de tout le comté.
 
       Le parrain actuel, qu’on appelait Papa Midnight, devait sa place à son arrière-grand-père. Ce dernier était arrivé de Gênes à une époque de récession économique et avait fait ses armes dans une des mafias locales. Son talent inné de négociateur lui avait valu de se faire remarquer et de monter rapidement en grade. Il put apprendre à son fils les ficelles du métier jusqu’à sa mort, et ce fut à ce moment-là que la scission se fit. Le fils prodige prit avec lui des hommes qui lui étaient fidèles pour créer ce que son père n’avait pas pu faire. La première mafia Genovese était née. Les gangs rivaux ne virent pas cela d’un très bon œil, et de nombreux règlements de comptes se succédèrent, jusqu’à un attentat qui raya le parrain en herbe de la carte.
 
      L’histoire aurait pu s’arrêter s’il n’y avait pas eu chez son fils aîné un aussi grand désir de vengeance. Malgré son jeune âge, le père de Papa Midnight marcha dans les traces de ses aïeuls et, dans sa haine, il entreprit un grand nettoyage autour de lui. Pour élever sa famille plus haut que personne avant lui, il fit plier les chefs de clan les plus farouches, négociant sur le fil du rasoir et faisant tomber les têtes des plus obstinés. Ce fut une période noire pour Milan où il ne faisait pas bon sortir sous peine de se faire faucher dans une fusillade.
 
       Et le calme finit par revenir, les Genovese avaient marqué leur territoire du sang de leurs ennemis et les affaires purent ainsi reprendre sans encombre. Papa Midnight arriva au pouvoir dans une ambiance assez sereine, mais il n’était pas homme à se reposer sur ses lauriers, loin de là. Si ses prédécesseurs avaient réussi à installer la famille dans les hautes sphères de Milan, Papa Midnight fit marcher les affaires, assurant ainsi des revenus importants et réguliers, des investissements rentables et une position encore plus solide au pouvoir. Il fallait éviter au maximum les guerres ouvertes entre les clans et maintenir le statut quo. Tant que la famille était au sommet, il fallait l’y garder et la faire prospérer. Papa Midnight était conscient des sacrifices de ses parents et grands-parents pour en arriver là. Il était hors de question de salir leur mémoire en réduisant à néant ce qu’ils avaient fait de cette famille et il avait à cœur de transmettre cet héritage à sa descendance…
 
         Le patriarche siégeait en bout de table, dominant la grande assemblée. Ayant fêté ses soixante-quinze ans cette année, il n’était plus en mesure de faire les affaires de sa jeunesse. Il déléguait ainsi à ses enfants et en particulier à son fils ainé Daniele, qui était déjà considéré comme le successeur vu l’âge de l'actuel parrain. Pourtant, ce dernier n’était pas faible, loin s'en faut. Son charisme était écrasant malgré les profonds sillons qui ornaient son visage, son œil droit barré d’une cicatrice et sa chevelure d'un blanc immaculé. Vêtu d’un costume noir impeccablement taillé, il ne faisait aucun doute de sa position au sein de la famille. Le Parrain était craint et respecté et n’avait jamais fait preuve de tendresse, se montrant froid et calculateur. Son empire et la famille étaient ce qui comptait le plus, et il avait inculqué cela à ses enfants. Néanmoins, ses petites filles étaient les seules qui arrivaient un tant soit peu à le dérider, parce qu’elles n’étaient pas destinées au même univers.
 
       A la droite du vieil homme siégeait sa femme, Mila Genovese. Une grand-mère bien plus agréable et souriante que son mari, toujours prête à faire à manger malgré son âge et à gâter ses enfants et petits-enfants. Elle était la grand-mère gâteau dans toute sa splendeur et était bien plus appréciée que son mari. Cependant, le couple s’entendait bien en dépit de toute logique et à la surprise de tous. De l’autre côté du parrain se trouvait sa benjamine Cassandra, dont le mari était mort quelques années plus tôt. Afin de respecter l’alternance homme-femme, Daniele l’aîné et Ennio le cadet encadraient leur sœur avec leurs épouses respectives.
 
         Les enfants de Daniele suivaient leurs parents du plus vieux au plus jeune, d’abord Cristiano puis Valente, issus d’un premier mariage, et leurs trois jeunes sœurs venant d’une seconde union, Lucilla, Franca et Sofia. Venaient enfin les enfants d’Ennio et Cassandra au nombre total de trois, Daniele ayant été le plus prolifique en ce qui concernait sa descendance.
 
          La tablée était loin d’être complète. Papa Midnight avait un frère et une sœur avec chacun deux enfants, mais ils ne se retrouvaient que quelquefois par an pour les très grandes réunions familiales. Le déjeuner dominical était réservé à la famille proche de Papa Midnight. Chaque semaine ils étaient pourtant quinze à table, et bientôt seize car un heureux évènement était sur le point d’arriver pour la fille ainée d’Ennio.
 
           Mais c’était ainsi que le parrain Genovese aimait ses repas. Avec beaucoup de personnes, de discussions, d’animation et de couleurs. Malgré sa froideur, il appréciait simplement de voir ce tableau de famille évoluer année après année, tout en sachant très bien qu’il n’en avait plus pour très longtemps. Il était assez fier de ce qu’il avait fait de ses enfants et de quelle manière ses petits-enfants grandissaient. Daniele faisait du très bon travail et Cristiano, prochain héritier, se débrouillait très bien malgré son caractère taciturne. Il était d’ailleurs le seul à ne pas sourire à table, à ne rien partager avec les autres, se contentant de manger en silence en attendant que le temps passe.
 
           Daniele remarqua les traits figés de son aîné en même temps que son père. Cristiano n’avait jamais été très loquace, sauf quand il s’agissait de son frère, de deux ans son cadet. Valente et Cristiano étaient comme chien et chat et pouvaient difficilement passer un moment sans se reprocher tout et n’importe quoi. Les réprimandes, menaces et autres punitions n’avaient rien changé. Et même à vingt-huit et trente ans, si les insultes étaient bien plus déguisées, le ton de mépris et la mésentente étaient toujours les mêmes. Daniele avait abandonné et savait qu’ils ne s’entendraient jamais, que c’était peine perdue. Tant qu’ils faisaient bien leur travail, il ne voyait pas de raison de s’en plaindre. Il trouvait simplement cela dommage de ne pas avoir réussi à atteindre la cohésion familiale dont son père lui avait tant de fois parlé. Seul Cristiano était à part et distant, Valente aimant ses demi-sœurs comme si elles étaient les siennes alors que son aîné les ignorait et les méprisait, ne voulant même pas leur adresser la parole.
 
           Daniele réalisait bien que son héritier avait été profondément marqué par son divorce avec sa première femme, Debora, et il était inutile de préciser que lui aussi en avait été très affecté. Elle était partie avec un autre, sans fournir de véritables explications. Papa Midnight avait été fou de rage qu’une femme trahisse le clan. Il avait voulu la faire tuer, et ce fut la première fois que Daniele se dressa contre son père. Lui si obéissant et sérieux avait passé outre son éducation, en refusant qu’on touche à sa femme. Elle avait fait son choix mais il était hors de question qu’elle paye à cause des Genovese. L’affaire avait été enterrée et Daniele se remaria quelques années plus tard avec Raffaella, qui avait mis au monde ses trois filles.
 
        Cristiano ne put cependant pas pardonner à sa mère de les avoir quittés et privés de sa présence pendant de longues années. Il acceptait cette nouvelle femme par respect pour son père mais il était hors de question pour lui de considérer ces trois gamines comme ses sœurs. Daniele le savait, et cela lui déchirait le cœur. Il se consolait en voyant la joie et le plaisir qui animaient les débats très vivants entre ses filles et Valente, mais rien ne parvenait à tirer un sourire à son héritier. Et pourtant il était doué, méthodique, intelligent, sérieux. Bon sur le terrain, excellent en négociation, il était son successeur idéal. Hormis pour l’aspect social de son travail. Cristiano n’était pas désagréable avec ses interlocuteurs, il était juste d’une froideur et d’un détachement sans bornes. Daniele ne lui connaissait aucun intérêt, il ne sortait presque pas et se contentait de faire son boulot, certes très bien, mais sans panache comme son frère. Seulement, Cristiano était majeur et vacciné. Du haut de ses trente ans, il faisait ce qu’il voulait tant qu’il le faisait bien et Daniele n’avait pas grand-chose à en dire.
 
« Valente, concernant l’Argente, je voulais savoir comment ça… 
         - Chéri pas à table s’il te plait, vous aurez tout le temps pour en parler après. »
 
        Raffaela avait raison, on ne parlait pas business à table et encore moins devant les enfants, mais il avait vraiment envie de s’entretenir à ce sujet avec son cadet. Il avait également une mission à confier à son aîné et pour lui qui était si solitaire, la pilule allait être dure à faire passer.
 
           Le dessert arriva et Daniele se servit un peu de panna cotta dans son assiette à dessert en argent. Chaque dimanche c’était les petits plats dans les grands et l’immense salle à manger de la maison familiale prenait des allures de grand restaurant. Toute la maison était dans un style italien de la Renaissance, très classique et exubérant avec des dorures, des tableaux originaux, des sculptures, des meubles en acajou d'excellente facture et des décorations très chargées. Ce luxe que peu d’italiens pouvaient se payer, Daniele et ses fils y étaient habitués à force d’y vivre depuis leur plus jeune âge.
 
             Un lustre de cristal éclairait d'une lumière vive la scène familiale où les discussions allaient bon train, avec pour mot d’ordre d’éviter de parler du travail. Daniele sourit alors que sa benjamine âgée de dix ans, Sofia, tirait sa manche de chemise pour lui demander de sortir de table, ce qu’il autorisa, ainsi qu’à Franca et Lucilla. Les trois sœurs n’avaient plus grand-chose à faire là alors que le café était servi. Les hommes se regroupèrent ensuite dans le salon pour entamer des discussions plus professionnelles alors que les femmes aidaient à débarrasser. La famille était, sur ce point, restée sur le strict modèle traditionnel italien. C’était comme cela depuis des générations et il semblait que les choses n’étaient pas près de changer. Seul un homme évoluait au milieu de ces femmes, le majordome de la demeure qui se faisait presque oublier tant il était discret. Il était responsable, sous l’œil avisé de Mila, de l’entretien de la demeure ainsi que de son bon fonctionnement.
 
            La semaine avait été calme à Milan et aucun débordement n’était à signaler. Les transactions allaient bon train et les hommes empêchaient les autres familles d'empiéter sur leurs affaires. Ennio et Daniele discutaient un peu vivement des prochaines mesures à prendre concernant les cartels de la drogue qui sévissaient en ville. S’allier ou ne pas s’allier, à quel pourcentage et pour quel rendement ? Il fallait bien avouer que si Daniele et son frère s’entendaient mieux que les deux fils de ce dernier, ce n’était pas non plus la panacée. Ennio en avait toujours voulu à son frère d’être né le premier et d’accéder ainsi au grade ultime. Daniele s’occupait en façade de la partie dite "légale" de la famille, avec les sociétés écran et les actions en bourse, ainsi que les transactions monétaires virtuelles. Ennio était plus souvent dans la rue, gérant les affaires illicites des Genovese. En dernier lieu, Daniele était celui qui supervisait les deux pôles. C’était lui qui donnait son assentiment ou refusait une opération. Ennio était haut placé mais il devait toujours en référer à son frère, et c’était cela qui le mettait dans de si mauvaises dispositions la plupart du temps. 
 
           De caractère comme d’apparence, les deux fils de Papa Midnight dépareillaient. Daniele avait les cheveux châtains arrivant à peine aux oreilles alors que son frère les portaient beaucoup plus clairs, presque blonds, et plus longs dans le cou. L’ainé était plus solide, toujours tiré à quatre épingles avec un sourire charmeur, une présence incontestable et un charisme mis à mal uniquement par son père. Toutefois, lors de ses accès de mauvaise humeur, il était nettement moins affable. Malgré un air plus avenant que son père il se faisait tout de même obéir par n'importe quel moyen. Ennio n’avait pas la carrure de son frère malgré les exercices physiques qu’il s’imposait, et il compensait en étant plus sanguin, moins patient et criant plus souvent pour se faire entendre. De plus, il manquait cruellement de diplomatie pour arriver à ses fins. Daniele était fin négociateur, peut-être même le meilleur de toute la famille, utilisant pour cela flatteries, offres, menaces, chantage ou séduction. Il décrochait les contrats les uns derrière les autres, voyant ses interlocuteurs plier à chaque fois. Ennio lui, sortait les armes et attendait qu’on accepte, sinon il tirait. Au vu des responsabilités qu'il endossait, cela fonctionnait plutôt bien.
 
           Valente, lui, n’en voulait nullement à son frère d’être l’héritier, au contraire. Il pouvait ainsi faire ce qu’il voulait sans tomber sous le coup du joug familial toujours à l'affût de la moindre erreur. Car les prétendants pour la place de Daniele étaient nombreux, aussi bien dans la descendance de Papa Midnight que dans celle de ses frères et sœurs. Si Cristiano venait à faillir, il aurait largement de quoi être remplacé et la branche familiale de Daniele serait destituée du titre d’héritier. Valente était bien heureux de ne pas subir cette pression qui angoissait son frère sans qu’il n'en fasse jamais état. Cristiano avait été formé à prendre la suite depuis son plus jeune âge, à commander et à être obéi, à se battre et à prendre des décisions rapidement et froidement, si bien qu’il en avait oublié de faire confiance et de s’ouvrir aux autres. Le petit garçon adorable et plein de vie de Daniele était loin, et le père regrettait cette évolution résultant de l’éducation du Parrain. Il avait pourtant fait de son mieux pour l’élever de façon plus souple que son propre père. Il avait été à l’écoute et l’avait accompagné, mais ça n’avait pas été suffisant et son aîné s’était fermé. Il se demandait combien de temps encore Cristiano pourrait vivre de la sorte avant que quelque chose ne vienne mettre à mal cette carapace.
 
           La réunion se termina et après les salutations d'usage, tout le monde rentra chez soi, laissant Daniele et ses enfants dans la demeure familiale. En effet, aucun de ses fils ne s’étant trouvé une compagne, ils pouvaient rester vivre dans l’immense maison. Le patriarche se retira, et son fils convoqua ses deux garçons dans son bureau à l’étage, ayant à s'entretenir séparément avec chacun d’entre eux sur des affaires plus personnelles. 
 
        Le premier à se présenter fut Valente, toujours pointilleux sur son apparence. Il ne laissait jamais rien au hasard dans son physique, et si la tenue, presque l’uniforme de la famille était la chemise et le costume, il savait très bien les porter et les assortissait tous les jours d’un chapeau. Comme les femmes collectionnaient les chaussures, lui alignait dans ses placards les couvre-chefs de couleurs variées ornés de lisérés différents pour s’accorder à toutes ses tenues. Valente avait presque l'exclusivité familiale quant à l'utilisation du chapeau et il était largement celui qui le portait le mieux. Pour ce qui était de l’image de marque à donner, le cadet de Daniele était de loin le meilleur. Toujours souriant et avenant, dragueur, aimant les belles femmes et surtout les séduire, il était l’archétype de l’italien, charmeur par excellence. Ses devises se résumaient à sortir, faire la fête, rencontrer de nouvelles personnes, boire malgré sa faible tolérance à l’alcool, fumer et rire.
 
           Valente était un très bon vivant mais également un adversaire redoutable, spécialement au tir. Il ne ratait jamais sa cible et seul Daniele le surpassait encore, ce qu’il ne manquait pas de rappeler perfidement à son frère, efficace mais moins habile que lui. Ses cheveux descendaient le long de sa nuque et de ses tempes en d’épaisses mèches châtain foncé, mais étaient toujours savamment coiffées pour se donner un air faussement négligent. Le mafieux était toujours rasé de près et prenait extrêmement soin de son physique. Il devait toujours être parfait et attirant, le sourire à la blancheur impeccable pour faire venir dans ses filets les belles italiennes aux longues jambes. Il avait cette façon de se mordre la lèvre caractéristique du tombeur méditerranéen, et Daniele ne pouvait s’empêcher de s'attendrir en le voyant car il lui faisait terriblement penser à lui lorsqu'il avait son âge.
 
          Mais ce n’était guère pour cela qu’il l’avait fait venir dans son bureau. Valente l’écouta avec attention et hocha la tête en lui donnant les informations dont il avait besoin,  enregistrant dans un coin de son esprit ce que Daniele attendait de lui. Le jeune mafieux était très dévoué à son père et malgré son caractère fougueux et parfois difficile à vivre, il le respectait énormément. Comme tous les hommes de cette famille, Valente était simplement susceptible et refusait qu'on lui parle de travers. Après avoir pris note des ordres de son père, Valente sortit et bouscula son frère qui attendait dans le couloir. Il lui fit un sourire plutôt moqueur qui ne laissait la place à aucun regret. Alors que Cristiano ouvrait la bouche pour commencer à l’invectiver, son père l’appela avant que la moindre insulte ne jaillisse de ses lèvres.
 
          Cristiano se tenait droit devant son père, attendant ses instructions et Daniele put constater une fois de plus la différence entre ses fils. Pas le moindre sourire ou la plus petite boutade, juste du sérieux, de la concentration et de l’efficacité. Pourtant physiquement, les deux frères se ressemblaient énormément, mais cette différence d’expression les rendait plus dissemblables que la lune et le soleil. Les cheveux de Cristiano étaient légèrement plus courts et clairs que ceux de son frère, mais une mèche barrait son front sur le côté. Ses sourcils étaient plus épais, et si la forme ovale de son visage était la même que celle de Valente, ses yeux étaient verts et légèrement en amande alors que son cadet les avait marrons et plus ouverts. Leurs deux corps étaient longilignes, des muscles fins et puissants transparaissaient cependant à travers leurs chemises. Ils tenaient plus de leur mère que de leur père pour la carrure physique, mais ils compensaient très bien ce soit-disant handicap par de la rapidité et de la souplesse. De plus, les deux frères se battaient rarement au corps à corps, préférant l’usage des armes à celui des poings. Cristiano était également adepte de la haute couture et des costumes bien taillés, mais laissait sa folie des chapeaux à son frère. Lui se contentait de sobriété.
 
« Cristiano.
      - Père ? 

      - J’ai une mission de négociation délicate à te confier. 
      - Je vous écoute. »
 
         Daniele retint presque un soupir de regret, il s’attendait à voir au moins une étincelle d’excitation dans le regard de son fils, un intérêt ou même une appréhension. Mais rien. Ses pupilles restaient juste concentrées, dans l’attente des instructions. Comment avait-il pu le rendre aussi froid ?
 
« J’ai besoin d’un solide informateur sur les mouvements des Firanze. Antonio a bougé ses pions et un nouvel homme est apparu. C’est lui que je veux. J’ai besoin que tu le persuades de travailler pour nous au sein des Firanze. La tâche n’est pas aisée car il sait qu’il est doué et qu’on se l’arrache dans les familles. C’est nous qui l’aurons. A tout prix. Et surtout, je veux sa loyauté. Qu’il ne parte pas ailleurs une fois chez moi. Fais-le plier. 
       - Bien père. 
      - Ce n’est pas tout. Une de mes connaissances se trouve être un de ses amis, et je pense que sa présence pourra être bénéfique dans l’accomplissement de la mission. Il t’épaulera durant cette négociation. » 

          Un éclat noir passa dans les yeux de Cristiano. Il n’aimait pas devoir travailler sur le terrain avec quelqu’un, mais il aimait encore moins contredire son père. Il s’inclina donc devant sa requête. Si s'agissait d'une demande ponctuelle, il pourrait gérer.
 
« Bien. 
    - Le rendez-vous avec l’informateur a lieu dans cinq jours. Prépare-toi et je te ferai parvenir le lieu et l’heure plus tard. Je compte sur toi Cristiano. 
    - Je serais à la hauteur » conclut Cristiano en faisant , sortant du bureau en refermant la porte en silence.
 
        Daniele aimait ses deux fils de la même manière en dépit de leurs différences, mais il fallait avouer qu’il avait plus de mal avec Cristiano. Il aurait voulu le voir heureux et plus ouvert, puisque même lui, malgré la masse de travail qu’il avait, prenait le temps de souffler et de se divertir. Ça ne semblait pas être le cas de Cristiano, et il ne pouvait rien y faire si ce n’était lui donner du travail et en attendre le meilleur. S'il s’épanouissait ainsi, Daniele voulait au moins lui offrir cela. Il soupira de nouveau, la mâchoire posée au creux de sa main. Peut-être que la prochaine mission le dériderait un peu. Connaissant son futur partenaire c’était possible, mais il ne savait pas dans quel sens.

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