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Capitolo 5

« Jilano, tu ne peux pas passer outre un ordre du directeur Nikonovitch ! »

      - Je l’ai déjà fait, Mirko. Il s’en fiche. A croire que, quoi que je fasse, ce vieux con ne se soucie même pas de l’état de ses troupes …

      - Tu as beau être plutôt libéré des règles habituelles, tu n’en restes pas moins un membre du GDP et tu dois rendre des comptes. Alors je me répète, pourquoi n’as-tu pas ramené en vie cette pactisante ! C’était une ‘'Speciale’’ ! Maintenant il va falloir attendre que son stella se matérialise à nouveau, peut-être dans des années ! »

 

           Mirko Giacone était vraiment énervé, fait plutôt rare dans ce bureau qui n’avait pas connu ses éclats de voix depuis longtemps. D’ailleurs, tout ici incitait à penser que le personnage était plutôt pacifique. Le grand fauteuil en cuir dans lequel il était assis la plupart du temps trônait devant un bureau de bois clair, aux angles arrondis qui reflétaient le caractère de son propriétaire. La pièce était grande mais sobrement décorée, et seuls quelques tableaux de peintres italiens inconnus défiaient la simplicité des murs. Evidemment, plusieurs bibliothèques s’élevaient avec à l’intérieur des quantités impressionnantes de dossiers, classés pour la plupart. Il n’y avait qu’une seule étagère honteuse sur laquelle trônaient trois piles de sobres pochettes marron qui ne portaient pas la mention « classé ». Il était d’ailleurs amusant de voir combien Mirko fuyait toujours du regard ce coin de son bureau. Un jour peut-être, il accepterait de passer outre son malaise pour les rouvrir et enfin mettre un point final à ses erreurs de jeunesse.

 

           La seule entorse à l’intransigeance d’un des deux capitaines du GDP était un petit cadre de bois tout simple, qui se targuait de passer inaperçu au milieu de toutes les affaires pourtant parfaitement rangées du brun. On y voyait une jeune femme souriante, cliché parfait de l’amour que Mirko portait à sa femme… et au petit garçon qui lui tenait la main. D’ailleurs, à bien y regarder le cadre était à peine décoré, tentative d’un enfant de rendre plus attirant un simple décor de bois. Et pourtant, un détail intéressant attira l’attention de Jilano. Mirko n’était pas sur la photographie. Il aurait pourtant pu choisir un instantané les représentant en famille. Signe que, clairement, quelque chose n’allait pas si bien dans la vie parfaite du capitaine qui tentait de se donner des airs de modèle à suivre.

 

« Et sinon, comment va ta femme, Mirko ? Anna, je crois ? La photo date un peu, il me semble me souvenir que tu t’es marié jeune parce qu’elle était, disons… indisposée. Ton garçon doit être bien plus grand maintenant. Ça fait si longtemps que ça que ton couple s’écrase ? »

 

           La réaction de Mirko ne se fit pas attendre. Il blêmit, sans doute de rage, et cacha le cadre pour soustraire sa petite famille au regard trop inquisiteur de son interlocuteur. Le jeune homme de trente-quatre ans n’appréciait pas vraiment que l’espèce d’épouvantail qui se tenait devant lui se permette de juger ce qu’il ne connaissait pas. Même si, et c’est bien ce qui l’ennuyait le plus, tout était juste dans ses propos. Oui, Anna et lui avaient quelques soucis depuis la naissance de leur fils. Parce que c’est à cette époque qu’il était passé capitaine, et qu’il s’était donc éloigné du domicile familial, la laissant élever seule leur fils. Oui, les années avaient usé leur amour. Et cela l’emmerdait vraiment que ce soit aussi évident. Il répliqua donc d’un ton froid, après quelques secondes passées à se retenir de venir coller son poing dans le visage de Jilano Cerretti. C’était l’effet qu’il produisait sur tout le monde, il le savait.

 

« Je ne t’ai pas convoqué pour parler de ça, Cerretti. Cela ne te regarde pas et à ce jour je serais plutôt d’humeur à aller avertir le directeur de ta bourde monumentale. Tu ne respectes donc rien ? »

 

           Un haussement d’épaules négligé de la part de son interlocuteur fut sa seule réponse. Décidemment, cet homme avait le don de l’énerver plus que de raison. Parfois, Mirko se demandait comment Livio pouvait bien apprécier ce phénomène.

 

« Tu as beau être un électron libre, tu devrais davantage prendre exemple sur Livio, Cerretti.

      - Oh ça y est, tu n’utilises plus mon prénom, chéri ? Dommage, après tout ce qu’on a partagé…

     - Dans tes rêves, répliqua Mirko qui cette fois était préparé à la verve de Jilano « Alors, j’attends. Tu nous dois au moins des explications. »

 

           Le principal intéressé haussa encore les épaules. C’était sa réponse préférée, faire celui qui s’en fout. Mirko détestait ça. Parce qu’il était un peu comme Livio, en moins amical à son égard. Après tout, Livio voulait suivre les traces de son supérieur, alors rien d’étonnant à leur ressemblance. C’était un bon capitaine, soucieux de ses subordonnés, bon manager et au fait des capacités de chacun. Un modèle de sérieux et de responsabilité. Autrement dit, un mec profondément chiant et coincé, du point de vue de Jilano.

 

           Ce dernier ne comprenait pas comment on pouvait vivre de manière aussi dure envers soi-même. Mirko représentait juste la perfection, et c’était d’un ennui mortel. Aussi, le voir énervé était la petite victoire du jour de Jil. C’était rare, et il fallait le dire, assez impressionnant. Mais quand on ne craint pas la peur, tout cela était vain. Pourtant dans un bon jour, Jilano décida de s’exécuter. Après avoir remis ses cheveux en place d’un geste devenu habituel, il s’assit sur le siège destiné à cet effet et, comme jaloux du confort de Mirko dans son fauteuil de PDG, il posa ses pieds sur le bureau avec un petit sourire en coin, ce qui lui attira un sifflement agacé de son interlocuteur.

 

« Soledad Garcia, pactisante de type Speciale. Née en Espagne, elle a toujours été timide et s’est réfugiée très vite dans le dessin, son seul moyen d’expression. Pourtant, le succès n’était pas au rendez-vous et personne ne remarquait son travail, elle a donc fait un vœu pour que l’on comprenne ses œuvres, et s’est retrouvée à passer un pacte avec un stella nommé Ink. Elle est ainsi devenue la meilleure élève de son école d’art, et a connu une certaine renommée à Milan. »

 

           Jilano fit une pause, souriant devant l’air agacé de Mirko qui lui clignotait le message ‘’je sais tout cela’’ à la figure. Il aimait bien le faire languir.

 

« Nous la surveilliions depuis trois mois, pour définir la nature de son Pacte. Qu’elle remporte tous les concours alors qu’elle était une parfaite inconnue auparavant nous a mis sur la voie. Le vœu était clair, tout autant que l’apparence de son stella puisque un jeune homme était apparu dans sa vie sans raison, n’entretenant pas de relation amoureuse avec elle. Restait à découvrir la nature de son pouvoir. »

 

           Soudainement, quelques coups à la porte se firent entendre et Mirko lança un « entrez », laissant alors apparaître un jeune homme que Jil n’eut pas de mal à reconnaître. Azio, le sous-lieutenant de Livio qui avait perdu deux orteils à sa dernière mission sur le terrain. On disait que depuis il refusait de repartir en mission. Jilano lui décocha un sourire carnassier tandis que Mirko faisait signe au jeune homme de s’asseoir à côté de celui qui était loin d’inspirer confiance avec ses cheveux verts.

 

« Azio, tu tombes bien nous parlions d’une affaire de Jilano. Nous allons en profiter pour revoir ensemble quelques bases, et après tu repartiras sur le terrain. »

 

           Jil mima le grognement et la morsure d’un cabot enragé, juste pour le plaisir de voir le visage d’Azio se décomposer sous la menace potentielle. C’est dans un de ses éternels sourires qu’il reprit donc, sur un ton monocorde exagérément ennuyé, ponctué d’un bâillement :

 

« Et donc, quand l’informateur chargé de récolter les données est revenu en jurant avoir vu un lion passer d’une feuille de dessin à la réalité, on a eu une petite idée du pouvoir de matérialisation de ses croquis. »

 

           Jilano croisa les bras, signe qu’il n’avait plus l’intention de parler pour un moment. Déjà, il avait été bien gentil de réciter tout ce qu’il avait lu en diagonale avant de prendre le dossier. Quand il avait reçu l’ordre du directeur de ramener la pactisante, et si possible le Stella, Jil avait tout d’abord eu l’intention d’obéir. Ils voulaient comprendre comment Soledad avait pu passer un pacte avec un Stella aussi puissant. Trouver ce qui la différenciait des autres. Seulement voilà, Livio était intervenu et l’avait, sur le terrain, empêché de faire monter Soledad dans la voiture avec laquelle il comptait bien la ramener, après avoir neutralisé ses mains pour qu’elle ne puisse pas dessiner.

 

           Ce qui se rapprochait le plus d’un ami lui avait demandé de ne pas la livrer à l’Impianto, le laboratoire principal dans lequel on faisait toutes sortes d’expériences sur les Pactisants et les Stellas. Apparemment, il connaissait Soledad qui avait été amie avec sa sœur. Et il lui avait demandé de simuler un accident, et d’épargner à la pauvre fille un destin bien plus cruel. Jilano n’avait pas posé de question. Il se moquait bien de savoir si Soledad allait vivre ou mourir, et dans quel état. Alors il l’avait fait passer pour morte aux yeux du GDP, prétextant sa tentative de fuite à l’aide de ses pouvoirs qui s’était soldée par un combat qui risquait de dévoiler au reste du monde une réalité qu’il n’était pas prêt à entendre. Et donc une obligation de la liquider. Oh, et, oui, il avait perdu son corps. C’était vraiment pas de chance.

 

           Il l’avait en vérité balancée dans les bras de Livio, le laissant organiser la fuite de la jeune fille, qu’il avait fait rentrer en Espagne en jouant de toutes ses relations. Elle était sauve, Jilano n’en avait strictement rien à foutre, mais ça ne le dérangeait pas plus que ça de mentir à Mirko et à Nikonovitch. Fin de l’histoire. Et Mirko, en voyant la détermination à se taire de Jilano, se désintéressa momentanément de lui tout en le laissant assister, comme punition, à la discussion ennuyeuse qui l’attendait avec Azio.

 

« Bon, Azio. Rappelle-moi ce qu’est un Stella.

      - Concrètement, des particules d’étoiles qui tombent sur terre pendant les nuits de pleine lune, Monsieur.

      - Et qu’est-ce qu’est un Pactisant ?

      - Un humain qui aurait fait un vœu pendant cette même nuit de pleine lune, Monsieur.

      - Comment les Stella s’associent-ils à leur Pactisant ? »

 

           Azio se tordait les mains de stress, il se croyait retourné à la case départ. Et au final c’est peut-être ce que son capitaine essayait de lui dire. Il n’avait pas souvent eu affaire à Mirko, et là il comprenait pourquoi ça ne lui manquait pas. La voix dure et le regard froid de son supérieur l’intimidaient. On voyait facilement que cet homme-là avait été un policier avant d’entrer dans le GDP. Il en avait l’allure et la classe. On murmurait qu’il avait même failli faire tomber le plus gros cartel de drogue de la ville, lorsqu’il officiait aux Stup’s de Milan. Les Genovese avaient eu chaud, cette fois-là.

 

« Le Stella s’approche de l’humain qui lui est égal en terme de force psychique, écoute le vœu, puis prend forme humaine quelle que soit sa puissance, afin de… d’embrasser ? -Enfin, ça dépend…- son humain, et ainsi sceller le pacte. Monsieur.

      - C’est bien Azio. Maintenant parle-moi des différents types de Stella ».

 

           En disant cela, le capitaine du GDP s’était éloigné du bureau pour faire quelques pas dans cette pièce qui l’étouffait en le gardant loin du terrain. Son regard croisa celui, amusé, de Jilano, qui baillait à gorge déployée pour signifier le dédain qu’il avait pour cette conversation. Mais, en jetant des regards noirs à Azio, il s’amusait bien et préférait alors rester pour tenter de déstabiliser suffisamment le jeune homme afin qu’il n’arrive pas au bout de son exposé.

 

« D’abord les… les Stella invisibles ? Euh, ils se cachent dans le corps de leur humain dès le pacte passé, révélateurs d’un pactisant assez faible, de rang C ou B, au mieux. Ils vivent souvent dans un objet appartenant à leur pactisant et rendent cet objet particulier. Selon les dénominations créées par le GDP il y a les… Luce ? Ce sont souvent une lumière ou une voix diffuses et on en finit presque par les oublier tant ils passent inaperçus. Ils ne s’attachent qu’à un pactisant de rang C. Les Voce sont un peu plus forts, et s’ils n’ont pas d’apparence vivante, ils parlent avec leurs pactisants. »

 

           Jilano venait de sortir son poing américain, le nettoyant, le lustrant, le passant puis l’enlevant. Cela déconcentrait beaucoup Azio, qui avait vu de quoi il était capable avec cette arme en main. Dans un glapissement peureux, persuadé que cet homme était là pour le punir à la moindre erreur, il continua en parlant bien plus vite, récitant une leçon bien apprise presque sans reprendre sa respiration.

 

« Puis les Stella visibles. On en distingue quatre sortes. Les Ombra, appartenant aux rangs B ou A. La plupart ont une existence animale sur Terre et ils offrent des pouvoirs psychiques avant tout. Ensuite les Specchio, ils ont une apparence humaine mais apparaissent plutôt de manière anarchique. Ils sont instables et la plupart des rangs B qui ont passé un pacte avec eux ne survivent pas longtemps. Puis les Umana, qui sont réservés à une petite catégorie de pactisants de rang A de par les pouvoirs qu’ils offrent et qui sont très puissants. Ils ont apparence humaine, mais il leur manque souvent quelque chose : la voix, la raison, un œil… Et enfin, les Speciale.

       - Les Speciale, oui. Parle-moi d’eux, Azio.

     - On ne les a découvert que récemment. Auparavant on pensait que ce n’était que des Umana. Mais ils sont plus forts, alors… On suppose qu’ils sont très rares et démontrent une grande force psychique chez leur humain. Les pouvoirs offerts sont totalement fous et hors de toute compréhension. A priori ils sont…

      - Parfaits », les interrompit Jilano, se relevant pour chasser le silence presque religieux qui s’était abattu sur la pièce.

 

« Ce sont les plus dangereux, les plus horribles. Ils sont tout sauf parfaits, Cerretti. C’est bien Azio. Maintenant, explique-moi pourquoi on parle de Pacte, ordonna Mirko Giacone.

      - Parce que chaque pactisant passe un vœu, obtient un pouvoir ou une force supplémentaires pour accomplir ce vœu. Mais il y a une contrepartie. Le Stella attend un retour. Parfois ce n’est pas grand-chose… Mais ça peut aller jusqu’à prendre la vie de son pactisant. »

 

           Azio frissonna en exposant ce fait macabre. Décidemment, à ses yeux les Stella étaient d’immondes créatures qui profitaient de la faiblesse des humains pour venir sur Terre, exister, et les détruire en dernier ressort, tout en s’amusant, pour la plupart. En visitant l’Impianto peu après son arrivée, il avait vu le regard fou d’un Stella Specchio emprisonné depuis déjà des mois. Il était comme dénué de raison, et les pactisants à qui on avait pris les Stellas avaient l’air de moins que rien, anéantis, avec leur vœu laissé en plan. Ce Pacte créait une dépendance qui lui donnait envie de vomir. Sans aucun doute, les Stella étaient le mal. Il en était convaincu et cela le répugnait d’imaginer devoir confier sa vie à une poussière d’étoile.

 

« Et à ton avis, qu’aurait dû faire Jilano devant un pactisant de rang A possédant un Stella de type Speciale ?

      - Le… Le capturer, Monsieur. Cela fait déjà des mois que l’on attend d’étudier ce cas-là, à l’Impianto ! »

 

           Le regard du jeune sous-lieutenant s’était comme illuminé à l’évocation du laboratoire. Ce que Mirko ne manqua pas de remarquer. Sur son rapport, il recommanderait Azio à un poste de scientifique. Il n’avait définitivement pas sa place sur le terrain, et ce malgré l’insistance de Livio pour l’avoir près de lui. Ils avaient voulu essayer, c’était un échec. Azio allait quitter le département des policiers du GDP pour se tracer une nouvelle voie en parallèle. Il en connaissait plus sur la théorie que bien des policiers présents en ces murs. Sa place était là où il pouvait tirer profit de son savoir sans être malmené par l’improvisation qu’imposaient les missions sur le terrain. Même le rôle d’informateur ne lui conviendrait pas. Il était trop impressionnable.

 

           Jilano jeta un regard noir à celui qui venait de le critiquer sans même s’en rendre compte. Au fond il s’en fichait, mais le voir se ratatiner sur sa chaise était délectable. Décidant que cette discussion devenait ennuyante, il jeta son rapport à Mirko, une simple feuille avec quatre mots : Pactisante décédée, Stella évaporé.

 

« Sur ce, j’y vais. Ne rêve pas trop Mirko, tu ne me feras jamais ressembler à ton petit chien Livio. Je n’ai même pas d’ordres à recevoir de toi. Je t’aime bien, mais tu ne me passeras jamais de laisse. Personne ne le fera jamais. »

 

           Sur sa dernière phrase, Jil se releva, posant ses mains à plat sur le bureau du capitaine pour fixer son regard dans le sien d’un air de défi. Il laissa passer quelques instants, pour permettre à sa déclaration de s’imprimer dans l’esprit du policier. Puis il quitta la pièce d’un pas traînant, s’allumant une cigarette dans les couloirs sans aucune gêne. Mirko fit claquer sa langue contre son palais en signe d’agacement, mais ne releva pas l’insubordination. Au fond, il savait bien que Jilano avait raison et qu’il n’avait aucune influence sur lui, malgré ce qu’il se plaisait à penser. Ne souhaitant pas risquer de perdre plus que son honneur dans une confrontation avec le chien fou du GDP, le capitaine préférait passer sous silence cette bravade insolente.

 

           Mirko reporta alors son attention sur Azio, qui s’était décontracté à vue d’œil depuis le départ de Jilano. La conversation reprit autour des Lunas, ces Stella au nombre de deux, que le GDP tentait de stopper depuis des années. Les chefs de file des deux camps de pactisants qui s’organisaient dans la guerre muette qui faisait rage à Milan. Mais c’était un autre chapitre, et Mirko décida de ne pas s’y étendre. Le gamin en entendrait parler bien assez tôt.

 

           C’est dans le hall, partie commune entre l’aile réservée aux policiers et celle qui donnait accès à l’Impianto ainsi qu’aux bureaux de la hiérarchie scientifique du GDP, que Jilano bouscula quelqu’un, alors qu’il s’apprêtait à sortir. Loin de s’excuser, il se retourna pour admirer sa victime.

 

« Egeado, quelle bonne surprise. Toujours à raser les murs et à cracher ta bile, hein ? »

 

           Le scientifique croisé par hasard avait, pour triste preuve de cette rencontre, une magnifique et très fraîche tâche de café sur sa blouse blanche. Il alimentait le cliché, ce petit. Et s’il ne répondit pas, Jilano vit le rictus de colère et de mépris sur ses lèvres. Il pouvait même presque entendre les insultes qu’il murmurait trop bas pour qu’une oreille humaine les capte. C’était amusant de le faire rager, lui aussi. Tellement facile. Egeado haïssait tout le monde au GDP, et c’était alors presque masochiste de sa part d’y travailler. Un jour, Jilano irait creuser de ce côté-là. Parce qu’avec sa haine aveugle pour tout son entourage, Egeado prenait de l’intérêt à ses yeux. Il était un bon sujet d’expérience, le petit scientifique. Un comble !

 

           Une tape dans le dos plus tard, Jilano quittait les locaux du GDP pour rejoindre sa moto qui l’attendait, rutilante sous le soleil écrasant de Milan. Revêtir le casque nécessaire ne lui faisait pas peur. La chaleur ne l’atteignait pas, il se coulait dans l’atmosphère lourde sans aucun problème, et la couleur de sa peau témoignait de l’amour qu’il portait aux rayons du soleil. Enfourchant son moyen de transport favori, il démarra en trombe dans les rues sinueuses de la ville. Rien de mieux pour conclure une journée comme les autres. De quoi s’évader quelques heures.

 

« Crétin d’abruti. Une blouse toute neuve. Ce mec a la délicatesse d’un mammouth dans un magasin de porcelaine. J’en ai marre de tous ces péteux qui ne se sentent plus pisser. »

 

           Sur une dernière insulte et un regard désolé à l’ancienne blancheur de son habit, Egeado retourna en direction de l’Impianto pour encore une après-midi de travail qu’il savait d’ores et déjà assommante comme toutes les autres. Inutile. 

 

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